Inspiré Noam Chomsky (dans le livre Propaganda and the Public Mind: Conversations with Noam Chomsky (2001)
La vérité n’est pas un don que le monde nous accorde, ni une parole gravée dans la pierre des institutions humaines. Elle est une flamme intérieure, fragile et indestructible à la fois, que chacun doit apprendre à reconnaître, nourrir et protéger des vents du mensonge.
Celui qui attend du pouvoir qu’il lui enseigne la vérité abdique son propre pouvoir d’être. Car le pouvoir, dans sa nature terrestre, cherche la stabilité, le contrôle, l’ordre apparent. Il ne cherche pas la lumière, il cherche la paix du troupeau. Et la lumière, elle, dérange. Elle fait voir ce que d’autres préfèrent laisser dans l’ombre.
La conscience est le seul espace où la vérité peut être vue. Mais qu’est-ce donc que cette conscience dont on parle si souvent sans jamais la sonder ? Elle n’est pas seulement le fait de penser. Elle n’est pas la somme de nos opinions ni le bruit incessant de nos pensées. Elle est ce regard qui perçoit le mouvement même de la pensée. Elle est ce silence d’où émerge le sens.
Le premier seuil de la conscience est celui de l’observation. C’est le moment où l’être humain cesse de se confondre avec le flot de ses émotions, de ses colères, de ses désirs, et commence à se voir lui-même. Il observe ses réactions sans les juger, comme on regarde un enfant s’agiter dans une cour de jeu. C’est un moment simple et pourtant immense : celui où l’on découvre qu’il existe, en soi, quelque chose qui voit sans être vu.
Ce témoin intérieur est la première clé de la liberté. Car tant que l’homme est prisonnier de ses conditionnements, il n’est qu’un instrument docile entre les mains du pouvoir, qu’il soit politique, médiatique, religieux ou social. Mais quand il se met à observer, sans crainte, il commence à se détacher des illusions du monde et des illusions de lui-même. Il découvre que la conscience n’est pas son mental, mais la lumière qui éclaire le mental.
Lorsque l’observateur s’installe, une seconde étape s’ouvre : celle de la purification du regard. Car observer ne suffit pas ; il faut apprendre à voir sans déformation. Chaque émotion, chaque blessure, chaque peur agit comme un filtre sur la conscience. Elles colorent la perception, altèrent le jugement, tordent la réalité. Nettoyer ces filtres, c’est purifier le miroir intérieur pour qu’il reflète fidèlement la lumière.
Cette purification ne se fait pas par la violence, mais par la présence aimante. Plus on regarde ses zones d’ombre avec compassion, plus elles se dissolvent. Ce que la conscience éclaire cesse d’être inconscient, et donc cesse d’avoir pouvoir sur nous. Ainsi, l’homme apprend peu à peu à se libérer non pas du monde, mais de ce qu’il projette sur le monde.
Cette étape transforme la connaissance en connaissance de soi. Et cette connaissance n’est pas un savoir intellectuel : c’est une expérience vécue du réel, une lucidité qui voit la vie telle qu’elle est, dans sa transparence sacrée.
Lorsque le regard intérieur devient clair, l’homme découvre qu’il est traversé par des forces. Des forces de vie, de mort, de création et de transformation. Certaines viennent de la matière, instincts, désirs, impulsions. D’autres viennent de l’esprit, intuition, inspiration, amour, clairvoyance.
À ce stade, la conscience devient un centre d’équilibre. Elle ne se laisse plus dominer par la matière ni se perdre dans l’abstraction du spirituel. Elle apprend à harmoniser les deux pôles : le feu et l’eau, le haut et le bas, la pensée et le souffle.
Ce niveau de conscience n’est plus celui du chercheur, mais du bâtisseur intérieur. Celui qui comprend que le monde extérieur n’est que le reflet de ses propres états de conscience. Changer le monde sans se changer soi-même n’est qu’une illusion. Mais changer sa vibration intérieure, c’est déjà influencer le tissu du réel.
À ce degré, l’être devient responsable de sa lumière. Chaque pensée, chaque parole, chaque émotion devient un acte de création. Il commence à comprendre que la véritable maîtrise ne réside pas dans la domination, mais dans la cohérence entre l’esprit, le cœur et l’acte.
Lorsque la conscience s’élève encore, elle découvre son unité. Ce n’est plus « moi » qui observe le monde, mais le monde qui se reconnaît en moi. Ce n’est plus un individu isolé qui cherche la vérité, mais la vérité elle-même qui se contemple à travers l’individu.
À ce stade, la séparation entre soi et les autres s’efface. L’être sent que chaque forme de vie est une expression différente du même courant. Il ne cherche plus à dominer, mais à servir. Il ne veut plus convaincre, mais éveiller. Il comprend que la véritable autorité ne vient pas du pouvoir, mais de la présence consciente.
C’est ici que la phrase « La vérité ne se reçoit pas du pouvoir » prend tout son sens : le pouvoir appartient au monde des illusions, la vérité à celui de l’être. Et seule la conscience, devenue transparente à elle-même, peut accueillir cette vérité vivante.
Le sommet de la conscience n’est pas une conquête glorieuse, mais une disparition dans la lumière. L’ego cesse de se prendre pour le centre, et l’être devient comme un cristal à travers lequel la vie circule librement. Ce n’est plus « ma » vérité, ni même « la » vérité : c’est la réalité nue, libre de toute interprétation.
À ce niveau, le mot « pouvoir » perd toute signification. Car il n’y a plus de dominants ni de dominés, il n’y a que le vivant qui se connaît lui-même à travers toutes ses formes. L’homme de conscience devient alors un pont, un intermédiaire entre le visible et l’invisible, entre le ciel et la terre, entre la matière et l’esprit. Il agit sans imposer, éclaire sans contraindre, aime sans posséder. Et sa simple présence transforme, non par volonté, mais par rayonnement.
Dans un monde saturé d’informations, l’éveil de la conscience est l’acte le plus subversif qui soit. Car celui qui voit par lui-même n’a plus besoin de tuteurs, de gourous ni de maîtres pour lui dicter le sens du réel. Il devient souverain de lui-même, et c’est cela que tout système de pouvoir redoute : l’être humain libre, conscient, lucide et aimant.
La révolution de la conscience ne se fait pas par les armes, mais par la clarté du regard. Elle commence lorsque chacun, à sa manière, refuse la facilité du mensonge et choisit la rigueur de la vérité intérieure. Cette vérité n’est pas idéologique, elle est vibrante, évolutive, humble. Elle ne se proclame pas, elle se vit.
Vivre en conscience, c’est vivre dans la cohérence. C’est laisser la vérité nous traverser sans la retenir, sans la transformer en croyance. C’est accueillir le monde avec lucidité et amour, sans peur ni fuite. La conscience n’est pas un état définitif, mais un mouvement, un fleuve qui retourne sans cesse vers sa source.
Et peut-être que le but ultime de cette quête n’est pas de posséder la vérité, mais de devenir suffisamment clair pour qu’elle se reflète en nous, comme la lumière sur l’eau calme. Car la vérité, finalement, n’appartient à personne. Elle est la respiration du monde à travers l’être qui s’éveille.
Giulio Fioravanti
Veilleur...
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